Informatique quantique : Vers une nouvelle ère ?

Par Samy MOSA, Léon GALL et Bryan DAM

Temps de lecture : environ 10 minutes

Ces dernières années, les innovations technologiques n’ont cessé de se multiplier. Nos ordinateurs sont de plus en plus performants et de plus en plus compacts. Néanmoins, à mesure que leurs composants approchent la taille d’un atome, la fin de cette évolution approche. Mais pour comprendre les problèmes qui se posent, nous allons d’abord revoir certaines bases.

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Les ordinateurs classiques

Le binaire : L’alphabet des ordinateurs

Pour communiquer, nous utilisons un alphabet composé de lettres. Avec ces lettres, on forme des mots, puis des phrases.

Les ordinateurs, quant à eux, utilisent l’alphabet binaire composé de bits : 0 ou 1. Ils correspondent simplement à l’absence (0) ou à la présence (1) de courant électrique.

En assemblant plusieurs bits, on peut former une information plus complexe comme une image, un son ou même le site devant lequel vous êtes actuellement

Manipuler les bits grâce aux portes logiques

Pour faire des calculs, l’ordinateur doit pouvoir manipuler l’information, c'est-à-dire les bits. Les briques de base qui permettent cela sont ce que l’on appelle des portes logiques.

Elles permettent d’effectuer des opérations très simples sur les bits. Par exemple :

  • La porte ET renvoie 1 si et seulement si ses deux bits d’entrée sont à 1.
  • La porte NON renvoie l’inverse de son bit d’entrée.

Porte logique ET Porte logique NON

Des portes logiques aux ordinateurs

En assemblant ces portes logiques, on peut construire des modules effectuant les opérations que l’on a l’habitude de faire comme l’addition ou la multiplication.

De cette manière, avec seulement quelques types de portes logiques, on peut construire un ordinateur.

L’autre avantage des portes logiques est que l’on sait les réaliser physiquement avec des composants électroniques qu’on appelle transistors.

Modules

Les transistors : la source du problème

Les transistors peuvent s’apparenter à des interrupteurs qui laissent passer ou pas le courant électrique. Nos ordinateurs en comportent aujourd’hui jusqu'à plusieurs milliards.

Mais à mesure qu’ils approchent la taille d’un atome, la physique quantique complique les choses.

En effet, les lois qui régissent notre monde sont très différentes de celles de l’infiniment petit. Les électrons pourraient par exemple traverser un transistor qui les bloque via un phénomène quantique appelé l’effet tunnel.

Transistor

L'informatique quantique

Pour résoudre ces problèmes, une nouvelle façon de penser l’informatique est en train de voir le jour : l’informatique quantique. Le but : tirer profit des lois de la physique quantique.

Des bits aux qubits

Contrairement aux ordinateurs classiques, les ordinateurs quantiques utilisent des qubits. Un qubit peut être une particule telle qu'un photon ou un électron.

Tout comme un bit classique, un qubit peut valoir 0 ou 1… mais aussi les deux à la fois, dans certaines proportions : On appelle cela la superposition quantique.

Imaginons maintenant que l’on veuille faire un même calcul avec deux entrées différentes : 0 et 1.

Avec un ordinateur classique, il faudrait effectuer le calcul 2 fois, tandis qu'avec un ordinateur quantique, il suffit d’effectuer une seule fois le calcul sur une superposition de 0 et de 1. On a donc un ordinateur qui va 2 fois plus vite !

Mais cela va en réalité beaucoup plus loin :

Avec 4 bits, on peut représenter 16 valeurs différentes, une à la fois. Avec 4 qubits, on peut aussi représenter 16 valeurs différentes, mais toutes en même temps. On peut donc aller 16 fois plus vite !

De manière générale, avec n qubits, on peut aller 2n fois plus vite que l’équivalent classique.
0000 0001 0010 0011 0100 0101 0110 0111 1000 1001 1010 1011 1100 1101 1110 1111

Une autre propriété importante des qubits est l'intrication quantique. C'est-à-dire, que des particules peuvent être liées entre-elles, avec des états par conséquent dépendants.

Grâce à elle, un qubit peut réagir au changement d’état d’un autre, peu importe la distance qui les sépare.

Cela signifie qu’en mesurant un seul qubit intriqué, on peut déduire l’état des autres, sans avoir à les regarder !

Survolez les qubits pour les mesurer !

Manipuler les qubits grâce aux portes quantiques

On a vu qu’un ordinateur classique utilise des portes logiques. Pour un ordinateur quantique, ce sont des portes quantiques.

Comme les portes logiques, elles permettent de manipuler l’information. Seulement, elles effectuent leurs opérations sur les qubits.

Par exemple, la porte de Hadamard prend 1 qubit en entrée et en donne 1 en sortie. Elle est telle que si le qubit d’entrée n’est pas dans une superposition d’états, alors le qubit de sortie sera dans une superposition moitié-moitié de 0 et de 1.

Porte quantique de Hadamard

La réduction du paquet d’onde

Jusqu’ici, on a laissé sous-entendre qu’un ordinateur quantique fonctionnait comme un grand nombre d’ordinateurs normaux en parallèle. Mais en réalité, ce n’est pas tout à fait cela.

D’abord car des ordinateurs travaillant en parallèle pourraient effectuer des calculs complètement différents, alors qu’un ordinateur quantique effectue le même calcul sur toutes les entrées.

Ensuite car les ordinateurs classiques pourraient renvoyer plusieurs résultats différents. Au contraire, avec un ordinateur quantique, on aura toujours un seul résultat. En effet, dès que l’on mesure la valeur d’un qubit, il doit choisir un état fixe, 0 ou 1, se réduisant à un bit classique : ce phénomène s’appelle la réduction du paquet d'onde.

Un ordinateur quantique sera donc toujours moins polyvalent que son équivalent classique.

Applications

C’est donc seulement sur certains types de problèmes que les ordinateurs quantiques pourraient bénéficier de leur pouvoir d’accélération. Mais en exploitant correctement les propriétés de superposition et d'intrication quantique des qubits, ce pouvoir pourrait se révéler extrêmement puissant.

La recherche en base de données

Voici un bon exemple d’application d’un algorithme quantique : Imaginons que vous recherchez l’emplacement d’un livre dans une bibliothèque.

Pour le trouver, un ordinateur classique devrait comparer un à un tous les livres de la bibliothèque avec celui que vous cherchez. Pour un petit nombre de livres, c’est assez rapide, mais quand ce nombre augmente, on a le temps de prendre un café !

Par contre, un ordinateur quantique ira beaucoup plus vite. Pour faire simple, il prendra tous les livres de la bibliothèque, les superposera avec des qubits et effectuera toutes les comparaisons en même temps. Pas le temps de cligner de l'œil !

Etagère à livres

La fin de la cryptographie RSA ?

Voyons un autre exemple. L’usage le plus connu des ordinateurs quantiques est la sécurité informatique, ou plutôt le fait de casser cette sécurité.

A l’heure actuelle, la plupart de vos emails, mots de passe et informations bancaires, par exemple, sont sécurisées via un algorithme appelé RSA.

Pour craquer un chiffrage RSA, il faut trouver la décomposition en produit de facteurs premiers (nombres qui ne sont divisibles que par un et eux-mêmes) d’un nombre très grand.

En théorie, c’est très simple : il suffit de faire plein de divisions. Mais en pratique, même avec l’ordinateur le plus puissant du monde, cela prendrait un temps fou ! (si vous commenciez aujourd’hui, vous ne seriez même plus vivant lorsque le calcul serait terminé)

C’est sur ce principe que repose la sécurité de l’algorithme RSA.

Mais en 1994, alors que l’ordinateur quantique n’était encore qu’une idée sur le papier, un chercheur du nom de Peter Shor a trouvé un algorithme quantique qui permet de factoriser un nombre premier : l’algorithme de Shor.

Et ce qui est incroyable, c’est que plus le nombre de départ est grand, plus l’avantage de cet algorithme quantique est notable : on dit qu’il est exponentiellement meilleur.

Il pourrait donc bien signer la fin du chiffrement RSA.